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Quelques mots sur toi : qui es-tu ? quelle est ta fonction ? dans quelle commune ?

alexandra-fraresse

Je suis adjointe au maire de la commune de Talloires Montmin (Haute Savoie) en charge de l’implication citoyenne, de la communication, de l’économie et du tourisme. Nous sommes un village de 2000 habitants, mais nous avons la superficie de Valence ! 

Explique-nous en quelques mots le contexte dans lequel tu es aujourd’hui dans ta fonction d'élue dans ta commune : qu’est-ce qui se passe en ce moment ? Quels sont tes enjeux ? Tes célébrations ? Tes difficultés ?

J’ai commencé mon engagement avec une ambition démocratique très élevée. Au fur et à mesure, j’ai adapté ma posture, mon vocabulaire et les moyens que je mettais en place selon la culture démocratique  des personnes avec qui je collaborais. C’est une vraie conduite du changement.

Pas loin de deux ans après le début de mon mandat, je suis satisfaite du schéma démocratique dans notre village. Il est adapté à l’identité de notre village : il est très innovant pour notre commune tout en restant humble. Nous expérimentons beaucoup. Nous avons mis en place une gouvernance partagée afin d’éviter la concentration des pouvoirs aux mains d’une voire quelques personnes.

A quoi ressemble notre schéma démocratique ?

  • Notre conseil municipal qui regroupe le maire, les adjoints et les conseillers pour délibérer sur les sujets réglementaires mais aussi pour arbitrer sur les sujets des groupes de travail
  • Des groupes de travail pour les élus majoritaires et minoritaires : ce sont l’équivalent des commissions mais nous avons décidé de les appeler autrement car ils n’impliquent pas la même chose dans les représentations.
  • Des groupes action projets pour les élus et les habitants : ils sont créés lorsqu’un besoin émerge et clôturés à la fin du projet.
  • Une plateforme citoyenne : la fabrique citoyenne pour recueillir l’avis des habitants sur différents sujets au fil du mandat. Elle nous a permis d’être proche des habitants pendant le COVID et facilite l’implication des personnes qui ne viendraient pas aux réunions publiques. 

Nous avons 4 groupes action projets :

  • La redynamisation du bourg de Montmin
  • Les sentiers communaux pour en ouvrir de nouveaux ou les entretenir (avec une vingtaine d’habitants)
  • L’alimentation saine et locale pour diversifier l’offre d’alimentation sur le village (avec 3 élus et 2 habitants) 
  • Les adolescents pour co-construire avec eux les équipements dans le village en termes de loisirs

Aujourd’hui, nous aimerions aller au-delà de notre plateforme citoyenne pour favoriser l’implication citoyenne dans le réel avec des conseils de hameaux. Pour l’instant, nous faisons une tournée à l’automne pour échanger avec les habitants, faire remonter leurs doléances et partager des informations.

Nous souhaitons leur donner une capacité d'action plus importante en créant 5 conseils de hameaux. Mais, je m’interroge sur la viabilité des conseils de quartier dans d’autres villes : est-ce que c’est le bon format ? Est-ce qu’on ne va pas déployer beaucoup d’énergie pour pas grand chose si les gens ne s’en emparent pas ? Je suis également inspirée par le travail réalisé par Fréquence commune sur les assemblées citoyennes et je me demande si ce n’est pas plus adapté pour aborder certaines thématiques.

Nous avons des retours positifs sur notre démarche citoyenne : 50% des habitants sont inscrits à notre newsletter, il y a un taux d’ouverture de 75% et nous avons 20% d’habitants inscrits sur la plateforme mais la participation reste timide. Par exemple, sur le travail de concertation sur le bourg, 7% des habitants ont participé. J’étais un peu déçue parce que c’est un projet hyper impactant pour le futur.

Si tu prends du recul sur ton mandat, ça fait maintenant deux ans… Quelles sont tes plus grandes fiertés en termes d’expérimentations citoyennes ? Quels ont été tes plus grands défis ?

Ma plus grande fierté reste la mise en place de la fabrique citoyenne. Elle est très appréciée par les habitants et a démontré aux élus que c’était utile si elle était utilisée à bon escient. Je suis fière de tout l’aspect information / communication / transparence mise en place avec les habitants puisque ça n’existait pas du tout avant. 

Le fonctionnement était très opaque, imaginez que lorsque nous sommes arrivés dans la municipalité, il n’y avait aucune archive, aucun outil de communication. Et pour moi, ça pose un vrai problème de transparence publique et pour la continuité des mandats. Grâce au travail que nous avons effectué, la prochaine équipe pourra avoir une trace et faire le lien. L’accessibilité de l’information est pour moi une des bases de la démocratie participative.

Dans nos réussites, nous pouvons aussi être fiers d’avoir mis en place une gouvernance partagée, même s’il reste quelques concentrations de pouvoir autour du maire et des adjoints. La chance que nous avons avec le nouveau maire est qu’il nous laisse beaucoup d’autonomie. 

Concernant le réaménagement du bourg, nous avons mis en place un processus qui plaît beaucoup aux habitants : nous avons fait adapter le calendrier de l’étude d’aménagement en incorporant à chaque étape l’avis des habitants. Nous les avons consultés sur les orientations en prenant la température grâce au jugement majoritaire, puis nous les avons interrogés sur leurs besoins dans les 5 secteurs et on a fait des propositions au cabinet d’étude. Ils nous ont ensuite fait une proposition visuelle de ce qui était remonté et nous l’avons montré hier aux habitants qui a globalement été bien accueillie. La prochaine étape est de mettre habitants, élus, agents et experts autour de la table pour finaliser ensemble le cahier des charges qui préfigurera le futur bourg de Talloires et qui sera remis au futur architecte. 

En dehors de nos réussites et fiertés, nous avons eu une difficulté majeure : le manque de moyens humains et financiers. Ce n’est pas facile d’être seule à porter un enjeu aussi important à l’échelle du village, alors que ce n’était pas un sujet plébiscité par les élus et les habitants. Beaucoup ne voient pas vraiment le problème et pourquoi il faudrait faire autrement. C’est d’autant plus dur quand on voit qu’avec tout ce qu’on a mis en place, les habitants ne sont pas massivement au rendez-vous. Chaque jour, il faut lutter avec des aprioris (“ça va nous faire perdre du temps”, “on n’a pas le temps”, “c’est plus une contrainte qu’autre chose”, “en plus, les gens ne sont pas compétents”). C’est un tel changement culturel, qu’il faut des moyens ! 

Qu’est-ce que ces expérimentations ont changé chez les participants - du côté habitants et du côté collectivité ? 

Ça a changé beaucoup de choses. Ça faisait 30 ans que nous avions le même maire,avec des pratiques plutôt autocratiques, sans aucun système d’information sauf un bulletin municipal par an. Maintenant, les habitants ont de l’information sur tous les canaux : newsletter, site web, plateforme citoyenne, groupes de travail mixtes en intelligence collective.

C’est vraiment le jour et la nuit.

Pour les habitants : ils peuvent vraiment exprimer leur avis et être pris en compte. Parfois, on ressent encore le poids d’une société individualiste en attente d’immédiateté dans les réactions : certains exigent ceci ou cela ou d’avoir une réponse dans l’heure, comme si le service public, c’était le supermarché mais petit à petit ça évolue…

Pour la collectivité : pour les agents, je pense que le changement n’est pas encore très flagrant. On doit encore le travailler par l’acculturation et la montée en compétences sur un service public à l’écoute et efficace reposant sur la coopération. J’ai quand même l’impression qu’il y a une meilleure qualité de travail : plus personne  ne leur crie dessus, nous sommes plutôt dans un rapport où chacun a son rôle à jouer au service de l’intérêt général.


Décris-moi un moment d’interaction avec un ou une citoyenne pendant ton mandat au cours duquel tu t’es sentie enthousiaste, en gratitude, où tu as le sentiment de toucher du doigt ce qui fait la valeur et le sens de ton engagement. C’était quand, où, avec qui, à propos de quoi ? 

Y’a pas mal de petits moments. Par exemple, à la réunion publique d’hier, une dame est venue me voir pour me remercier chaleureusement d’avoir mis en place tout ce qu’on a fait.

Et que depuis qu’elle a plus de temps pour s’investir, elle a plus envie de s’engager dans son village. J’en eu plein de retours de ce genre là et ça fait vraiment du bien.

Pour moi, le nerf de la guerre c’est de retrouver du dialogue et de la coopération entre le quatuor : élus, services, habitants et acteurs du territoire. Et je vois bien que c’est possible. Par exemple, le parapente est une activité très importante pour notre commune (200 structures concernées) car nous sommes un village touristique. L’histoire montre que c’est possible de s’unir autour d’un objectif commun de préserver la nature, les habitants, et l’activité économique pour définir des règles communes et partagées. 


Qu'est-ce qui a été possible grâce à toi ? Sans fausse modestie, quelles sont les forces, talents, contributions qui t’ont été utiles dans cette situation ?

Je crois que l’on me reconnaît cette capacité à amener des sujets en douceur mais avec fermeté : je suis quelqu’un qui est plutôt optimiste et positive : je vais plutôt voir les opportunités là où d'autres voient des obstacles. 

Je vais pouvoir emmener les gens dans mon sillon et leur montrer que ça va bien se passer, qu’on va expérimenter, qu’on a le droit de tester et en plus que ce sera convivial et chaleureux. J’essaye de mettre ça dans nos supports digitaux et de donner envie aux personnes pour contribuer.

A la fois, j’ai la tête dans les étoiles et je suis aussi bien ancrée. J’essaye de m’adapter aux personnes, aux situations et je fais des propositions concrètes. La démocratie participative nécessite de la méthode et beaucoup d’organisation : c’est de l’ingénierie à part entière.


Qu’est-ce qui t’a procuré de la satisfaction, du plaisir ? 

La réaction des habitants ! Le fait de voir dans leur regard qu’il y a des choses qui se débloquent ou des lumières qui s’allument, et qu’ils sont en train de cheminer... C’est pour ça que je le fais. Merci à ceux qui expriment ce qu'ils ressentent, ça crée de la magie.

J’aime beaucoup cette phrase : “Les mots sont des fenêtres.. ou bien ce sont des murs” de Marshall Rosenberg. Je me rends vraiment compte que les mots peuvent ouvrir le champ des possibles ou les fermer et qu’il existe des méthodes pour les ouvrir.

Avec quoi tu repars

Je repars en me disant qu’il reste du chemin à faire et que nous sommes sur la bonne voie. Que nous pouvons continuer à garder ce cap, sans trop nous mettre la pression, car ça peut être contre productif. Nous allons continuer à prendre les choses point par point sans trop se fixer des objectifs élevés et en regardant ce qu’on a accompli dans le rétroviseur pour se donner de la force et continuer.

 

Judith Aynès